Pour vous, que représente la généralisation du Dossier médical partagé en 2018 ?

Le DMP est un outil que j’attends depuis longtemps. Je suis convaincu que l’on a besoin d’un outil de partage d’informations. J’ai suivi l’histoire de sa mise en place, un peu délicate, au cours de ces dernières années. Comme je m’occupe de la commission informatique à l’URPS, c’est forcément un sujet que je suis avec une attention particulière.

Médecin libéral dans un département pilote, je considère que toutes les conditions de fonctionnement normal de l’outil n’ont, pour l’instant, encore jamais été réunies. Lancé en 2004, relancé en 2009, mis en place vraiment en 2011, à aucun moment cet outil n’a été pleinement opérationnel, ce qui explique que la mayonnaise n’ait pas très bien pris jusqu’à maintenant.

Quelle est la principale raison qui peut expliquer ces difficultés ?

A mon avis, la difficulté principale est que nous n’avons personne au bout du fil. Pour la médecine de ville et les services hospitaliers, cet outil de partage d’informations est censé fluidifier le parcours de soin des patients, décloisonner les praticiens libéraux et les hospitaliers. Or, à aucun moment nous n’avons eu en même temps des établissements très motivés pour mettre en place cet outil ni des équipes de soins primaires en capacité de produire ou lire l’information. Pour moi, c’est la raison essentielle des difficultés qu’ont les acteurs de santé en général à adopter le DMP. Tant qu’on aura un « maillon faible », c’est-à-dire tant que les généralistes produiront de l’information et que les établissements n’en feront rien, ce ne sera pas assez efficace.

« Il faut à la fois du partage et de l’échange »

On voit quand même une différence depuis que la CNAM a pris le relais de l’ASIP Santé parce que nous avons été interrogés par les caisses primaires dans une optique davantage tournée vers l’usage : que veut-on faire de cet outil de partage ? Dans le parcours de soins des patients – surtout dans ce qu’on appelle le « virage ambulatoire » donc des pathologies de plus en plus complexes – on a besoin d’outils de partage nécessaires pour coordonner tout cela. Déposer un document dans le DMP d’un patient, c’est comme si on le lui remettait et qu’il ne puisse pas le perdre. Ensuite, pour l’échange entre professionnels, cela se passe plutôt par messagerie sécurisée de santé, en général. Les deux optiques sont complémentaires mais pas concurrentes. Nous avons besoin des deux en même temps.

Prenons l’exemple d’un établissement qui dépose une lettre de liaison dans le DMP d’un patient. N’importe où en France, si le patient voyage, il donne l’autorisation au professionnel d’avoir accès à un certain nombre de documents. Mais cette lettre de liaison doit aussi être envoyée à l’équipe de soins primaires qui va s’occuper du patient, et cela se fait en messagerie sécurisée. L’un n’empêche pas l’autre, ce sont des usages différents.

Le jour de la sortie du patient d’un établissement, un document peut être produit rapidement puis mis en partage dans le DMP du patient et envoyé simultanément à l’équipe de soins primaires via la messagerie sécurisée de santé. Ce qui sous-entend une intégration de cette messagerie dans les logiciels métiers de tous les professionnels de santé.

Il existe un concept expérimenté en Indre-et-Loire par les médecins traitants de ville : nous avons une vision globale de nos patients et, dans nos logiciels métier, sont consignés les antécédents de nos patients, les problèmes chroniques pour lesquels on les suit, les cas d’allergie, leur traitement de fond et ce qui est très important c’est que, sans double saisie, nous pouvons rassembler ces informations et les déposer dans le DMP. Cela s’appelle le « volet de synthèse médicale » qui est produit de manière automatique par les éditeurs de logiciels. Le principe c’est qu’en deux clics on vérifie puis on le glisse dans le DMP. Ce qui permet ensuite aux lecteurs du DMP du patient d’avoir accès à une page spécifique sur laquelle ils ont un condensé du dossier, comme un sommaire.

C’est déjà en fonctionnement puisque les éditeurs principaux des logiciels pour la médecine de ville se sont mis en capacité dès 2012-13 de produire cette synthèse qui fait également partie de la convention médicale.

Pour vous, le DMP va-t-il remporter un succès auprès des patients et des professionnels de santé lors de sa généralisation ?

On a tellement besoin d’un outil de partage et vu comment cela s’oriente, pour moi ce sera un succès. Sur un site pilote comme le nôtre, les ouvertures de DMP peuvent se faire au niveau des caisses primaires ou divers sites dans les petites villes. Je sais que les patients sont très demandeurs, surtout les plus fragiles, polypathologiques, chroniques. Les sujets jeunes ayant des pathologies très spécifiques (VIH, diabète insulino-dépendant, maladies inflammatoires chroniques) en auront vraiment besoin. Mais la cible la plus importante du DMP reste les personnes âgées polypathologiques fragiles qui ne se souviennent pas forcément de leur traitement, se retrouvent aux urgences, sont un peu perdues… Ces personnes-là voient forcément d’un très bon œil que les services d’urgence, les médecins régulateurs du Samu puissent tout savoir très facilement, sans parler des usages d’articulation entre les EHPAD et le Samu dans le cas de malaises survenant en établissements médico-sociaux.

 

Propos recueillis par Gil Beucher pour  © 2017

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